(Cet
article sur le concert du 29-10-1972 à Montreux
était dans Pop Music 122 du 9-11-1972)
MONTREUX...
Je vous épargnerai la description de
l'arrivée dans cette ville enchanteresse, posée
dans son
écrin de montagne dont les sommets neigeux se
détachent
sur le ciel bleu... D'ailleurs, il faisait nuit quand j'ai
débarqué. Je ne m'attarderai pas non plus sur les
vieilles anglaises qui hantent les couloirs et les ascenseurs des
hôtels de luxe (c'est pas là que je descends),
aussi
venons-en aux faits :
LE groupe Led Zeppelin (un des trois grands avec les Stones et les Who,
disent des gens bien informés) donnait là deux
concerts
tout à fait exceptionnels en exclusivité
européenne. C'est un peu devenu une tradition, le passage
annuel
de Led Zeppelin à Montreux, depuis ce 8 mars 1970
où il
fit pour la première fois trembler les murs du Pavillon du
Casino. Depuis, ceux-ci ont brûlé mais cela n'a
rien
arrêté, car la pop a la vie dure la-bas. Ceci
grâce
à un monsieur qui s'appelle Claude Nobs et qui
réunit ces
qualités d'audace, de talent et de
persévérance
qui font un bon organisateur de spectacles. Ajoutez à cela
une
foi inébranlable et un goût solide pour la bonne
musique,
et la suprématie de Montreux est presque
expliquée. Il
fallait le dire. C'est fait.
Les conditions de confort sont plus précaires
qu'à
l'habitude tellement la salle est archicomble. Exceptionnellement, la
scène très basse a été un
peu
surélevée et des barrières
installées ;
mais rien à voir avec les concerts concentrationnaires que
l'on
peut trouver ailleurs. Il faut dire qu'il y a une autre chose
merveilleuse à Montreux, c'est le public. Une
crème de
public : compréhensif, connaisseur, mais resté
enthousiaste sans toutefois être idolâtre. Un amour
de
public. On parle anglais, allemand, voire italien ou japonais,, et
même français. C'est la Babel des fils de la
génération rock, mais on s'y comprend
parfaitement
grâce à la musique.
«
GOOD evening » rapide et c'est parti. La guitare de Jimmy
Page ronfle au petit poil et Plant attaque « s'been
a long
time since I rock and roll... », tout de suite dans le bain.
Il
occupe toute la scène, pourtant vaste, vire-volte, monte sur
l'estrade de son pas souple (tennis blancs), se campe dos au public,
micro à bout de bras, secouant les hanches, et chacun peut
constater que son Jean porte une magnifique pièce rouge sur
chaque fesse. Il fait volte-face : devant, il y a une reprise encore
mieux placée et si on regarde bien on voit qu'elle est en
forme
de mini-drapeau anglais. God save the Queen ! Il est
déjà
à l'autre bout de la scène, toujours la pose sexy
et
légèrement équivoque. Le ceinturon
à la
boucle tombante laisse apparaître juste ce qu'il faut de
ventre
sous le tee-shirt. Jimmy Page, lui, restreint davantage ses
évolutions : quelques entrechats car ci. une
« duck
walk » revue à sa façon par
là...
Chaussures
vernies noires et blanches... De noir vêtu... Soyeux...
Penché sur sa guitare. Si j'ai l'air comme ça
d'insister
sur de vulgaires détails visuels c'est parce que je crois
qu'ils
ont ici une certaine importance.
Si Jimmy est plus discret, il est aussi le plus efficace : C'est lui le
« chef d'orchestre » (mine de rien). Les accords
tombent,
parfaits, tout est contrôlé, sans une faute.
Robert, par
contre, a des petits ennuis et ils deviennent très
évidents avec « Black Dog » : impossible
de prendre
le même ton que sur le disque, le cri ne sortirait pas.
Défaut dû peut-être à la
fatigue du
précédent concert ou à quelques
libations
exagérées dont de mauvaises langues ont fait
état.
Dans les autres morceaux, il s'en sortira mieux, abordant avec prudence
les passages périlleux, modifiant avec intelligence la
mélodie pour que « ça passe
». Reconnaissons
qu'il doit être bien difficile de hurler à chaque
concert
comme Robert Plant le fait (et sait seul le faire). Mais dans le feu de
l'action, gageons que beaucoup n'auront même pas
remarqué
cette carence. Un Zeppelin gonglé à bloc aborde
maintenant « Misty Mountain Hop ». Rien
à faire
pour échapper aux riffs que Jimmy dérive
d'ailleurs
à sa fantaisie après quelques mesures s'il en a
marre de
la faire « comme sur le disque ». Mais son solo
devient
sensible et bluesy : « Since l've been loving you
». C'est
comme un chat qui fait le « gros dos », et cette
idée du côté félin de Led
Zeppelin ne fait
que se confirmer à mes yeux : dans l'allure de Robert Plant,
dans son cri, sa crinière, dans l'agressivité
calculée du groupe, dans cette «
économie »
aussi - et c'est paradoxal - qui leur permet de tenir la
scène
près de trois heures avec une relative fraîcheur.
Après «Célébration Day
» vient le
rituel moment acoustique, qui a été bien
écourté par rapport à l'an
passé. D'une
Gibson à l'autre, Jimmy Page est servi comme un prince par
son
roadie/valet qui va jusqu'à brancher le jack chaque fois. Il
apporte à présent la « double-manche
» pour
un autre nouveau morceau. Celui-là est une grande fresque
lyrique à la gloire des saisons : J'entends des violons ! Je
rêve pas ? Non, ça doit être John Paul
Jones, assis
derrière des claviers entourés de boutons.
SEUL titre du premier album joué encore, « Dazed
and
confused » va nous entraîner dans d'incroyables
diversions
avant de revenir au thème une bonne demi-heure plus tard.
C'est
le coup de l'archet d'abord : combiné à la
pédale
wah-wah il permet à Jimmy «Fairy» Page
de jeter de
grosses notes sur le public avec sa baguette magique (anecdote : ce
gimmick de l'archet, il l'utilisait déjà dans le
même morceau, mais en moins élaboré,
vers la fin
des Yardbirds en... 68 ?). Ce sont aussi d'étourdissants
soli
qui font parfois penser à Hendrix (riff de « Foxy
Lady
») ou à Alvin Lee (thèmes essouflants).
C'est
encore le petit numéro voix-guitare, Robert essayant de
miauler
les mêmes notes que la guitare de Jimmy. Et il y parvient :
de
l'utilité d'avoir un chat dans la gorge... Mais soyons
sérieux car voici un grand moment : « Stairway to
heaven
». Malgré la qualité constante du
quatrième
album, on peut tout de même dire que c'est le titre qui en
émerge (pour la petite histoire, sachez que Jimmy et Robert
le
conçurent tout simplement devant un feu de
cheminée).
Tout en progres¬ sion. Départ presque acoustique,
puis ce
merveilleux embrayage de la batterie (frissons) et ce — je
n'ai
plus de mots — solo de Page ! « Tchunk !
Taka tchunk !
Taka tchunk ! ».
Si vous n avez pas reconnu, c'est la locomotive : « Whole
lotta
love ». Là encore le thème n'est plus
qu'un
prétexte : Bientôt se succèdent des
breaks
inattendus, puis ces stridences bizarres que Jimmy obtient —
divers gadgets électroniques aidant — par simple
déplacement de son bras levé (apparemment). Puis
Robert
en vient même à chanter ce vieux tube que les
Stones
avaient usé « Everybody needs somebody to
love»...
Avant d'enchaîner sur un pot-pourri de boogies (« I
heard
my mama papa tellin : Let that boy... ») et de rocks. Des
créations semble-t-il, si l'on peut encore dire
ça
aujourd'hui en parlant de rocks au format traditionnel, et «
Heartbreak Hotel » pour permettre à Robert Plant
d'exprimer son petit côté Presley
refoulé. Aussi un
« Bombay Blues»... « parce qu'on
revient juste
des Indes » (Plant exotique). Et après un
bref retour
à « Whole lotta love »,
brusquement, ils sont
déjà partis.
Bien que ce départ ne semble pas du tout factice, la grosse
majorité du public ne l'entend pas ainsi et reste sur place.
Alors commencent battements de pieds et de mains ponctuant une
lancinante mélopée de rappel. Gain de cause : ils
reviennent enfin. Jimmy Page sourit au public (on n'avait
guère
vu son visage jusque-là), plaque un accord : tout le monde
se
tait, et il nous assène un formidable «
Heartbreaker» à nous faire frôler
l'infarctus, puis
déliant son jeu il se met à échafauder
un joli
solo final que le public seul rythme de ses mains. C'est chouette.
Robert Plant arrache son dernier hurlement : « Heart
!!!
». Fini.
Serge DUMONTEIL
(Ce
compte-rendu du concert à Lyon du 26-3-1973 est
scanné d'après Extra n°30)
Cet article
d'Extra (qu'on
avait bien oublié, de même que le
précédent
d'ailleurs) s'est retrouvé à notre grande
surprise dans
un bouquin sur les tournées françaises de Led
Zeppelin.
Traduit en anglais même, dans ce "Hexagonal Experiences"
de Christophe Le Pabic et Benoît Pascal. Les deux
mêmes sont aussi responsables du fanzine français "Kashmir". Vous
trouverez des renseignements sur livre et fanzine sur la page suivante
: http://membres.lycos.fr/zosofrance/KashmirZep.htm
Et du coup, nous
on a ré-exhumé ces archives...